HC/E/CA 861
Cour européenne des Droits de l'Homme
Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH)
France
Canada
2 September 2003
Définitif
Droit de garde - art. 3
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Article 8 CEDH et Droit de garde:
Le père invoquait une violation de l'article 8 CEDH, estimant que l'article 374 ancien du code civil français, sur lequel s'étaient fondés les juges pour estimer que le père n'avait pas la garde de l'enfant au moment du déplacement.
La cour rappela que la notion de famille au sens de l'article 8 CEDH ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peuvent englober d'autres liens « familiaux » factuels lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage, comme c'était le cas en l'espèce. Elle ajouta que pour un parent et son enfant, être ensemble représentait un élément fondamental de la vie familiale.
Relevant que le père se plaignait exclusivement du refus des autorités administratives d'intervenir en sa faveur en application de la Convention de La Haye au motif qu'il n'avait pas l'autorité parentale, la cour réitéra que si l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il engendre de surcroît des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale, la cour indiqua qu'il fallait, dans un cas comme dans l'autre, avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble et, que, dans les deux cas, l'État jouissait d'une certaine marge d'appréciation.
La cour répéta que l'article 8 implique le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l'obligation pour les autorités nationales de les prendre, précisant que cette obligation n'était pas absolue mais que leur nature et leur étendue dépendaient des circonstances de chaque espèce.
La cour rappela encore que la CEDH doit s'appliquer en accord avec les principes du droit international, en particulier ceux relatifs à la protection internationale des droits de l'homme et que, s'agissant des obligations positives de l'article 8 en matière de réunion d'un parent à ses enfants, celles-ci doivent s'interpréter à la lumière de la Convention de La Haye.
La cour expliqua que la présente affaire devait être distinguée des affaires Ignaccolo, Maire et Iglesias pour lesquelles l'application de la Convention de La Haye ne faisait aucun doute, alors qu'en l'espèce, les autorités administratives avaient refusé de faire bénéficier le père de la protection de la Convention de La Haye au motif que le déplacement n'était pas illicite car le père n'avait pas la garde de son fils à ce moment là.
La cour précisa que l'article 3 de la Convention de La Haye prévoyait que le droit de garde pouvait résulter d'une attribution de plein droit et que tel était le cas en l'espèce puisqu'à la date du déplacement, les dispositions du code civil français confiaient de plein droit à la mère l'exercice de l'autorité parentale sur cet enfant naturel.
Le père n'étant pas titulaire de plein droit de la garde au sens de la Convention de La Haye ne pouvait donc se prévaloir de la protection offerte par celle-ci. La cour en conclut que l'article 8 CEDH interprété à la lumière de la Convention de La Haye ne mettait pas à la charge des autorités françaises d'obligations positives tendant au retour de l'enfant.
Enfant naturel et garde:
Admettant toutefois que le père contestait aussi le refus des autorités internes de lui reconnaître l'autorité parentale sur l'enfant, la Cour rappela qu'il revenait au premier chef aux autorités nationales et, singulièrement aux cours et tribunaux, d'interpréter et appliquer le droit interne. Elle releva que le Conseil d'Etat n'avait pas tranché la question de la garde, mais s'était borné, au regard des éléments du dossier, à constater que le père n'établissait pas la garde au moment du déplacement.
La cour ajouta qu'elle n'avait pas pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de droit de visite mais qu'il lui incombait d'apprécier sous l'angle de la Convention les décisions rendues en la matière.
Elle précisa encore qu'elle avait déjà eu l'occasion de se prononcer sur la conformité de l'article 374 ancien du code civil et le droit au respect de la vie familiale. Elle avait pu estimer que cette disposition permettait au parent d'un enfant naturel non investi de la garde de demander au juge la modification de l'attribution de l'autorité parentale et que le juge avait alors pour rôle de vérifier si cette modification était dans l'intérêt de l'enfant.
Sur ce point la cour constata que les parents n'avaient pas fait usage de cette possibilité pendant leur vie commune et que le père n'avait pas interjeté appel des décisions rejetant ses demandes de modification de la garde. Dès lors, la Cour estima le grief du père tiré de l'article 8 CEDH manifestement mal fondé.
La Cour reconnut qu'il était vrai que le père non marié était juridiquement dans une position plus faible que le père marié puisqu'il n'était pas en principe investi de l'autorité parentale, mais observa que l'article 374 ancien, même dans sa rédaction antérieure à la réforme de 1993, ne pouvait s'interpréter comme accordant systématiquement la garde des enfants naturels à la mère plutôt qu'au père puisque les juges saisis devaient se prononcer en fonction de l'intérêt des enfants.
Elle rejeta donc le grief fondé sur l'article 14 CEDH en ce qu'il n'y avait pas discrimination entre père et mère d'enfants naturels. La Cour rejeta tous les autres griefs du père, ne relevant aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la CEDH ou ses protocoles.
Voy. les décisions rendues en France dans cette affaire : - décision de la Cour administrative d'appel du 11 juillet 1997 [Référence INCADAT : HC/E/FR 522] - décision du Conseil d'Etat du 30 juin 1999 [Référence INCADAT : HC/E/FR 523].