AFFAIRE

Télécharger le texte complet FR

Nom de l'affaire

Ignaccolo-Zenide v. Romania, no. 31679/96, (2001) 31 E.H.R.R. 7

Référence INCADAT

HC/E/RO 336

Juridiction

Nom

Cour Européenne des Droits de l'Homme

Degré

Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH)

États concernés

État requérant

France

État requis

Roumanie

Décision

Date

25 January 2000

Statut

Définitif

Motifs

Questions liées au retour de l'enfant

Décision

-

Article(s) de la Convention visé(s)

-

Article(s) de la Convention visé(s) par le dispositif

-

Autres dispositions
European Convention on Human Rights
Jurisprudence | Affaires invoquées

-

INCADAT commentaire

Mise en œuvre & difficultés d’application

Questions procédurales
Exécution de l'ordonnance de retour

Relation avec d’autres instruments internationaux et régionaux et avec le droit interne

Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH)
Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CourEDH)

RÉSUMÉ

Résumé disponible en EN | FR | ES

Faits

L'affaire concernait deux filles, nées en 1981 et 1984, de mère française et de père roumain. En décembre 1989, les parents divorcèrent en France. Le Tribunal de Grande Instance de Bar-le-Duc homologua une convention passée entre les parents et aux termes de laquelle le père obtenait la responsabilité parentale, la mère disposant d'un droit de visite.

En 1990, le père s'installa aux Etats-Unis avec les enfants.

La mère entama une instance en France au motif qu'elle se trouvait dans l'impossibilité d'exercer son droit de visite. Elle demanda également la garde des enfants. Sa demande fut rejetée en première instance, mais la Cour d'appel de Metz lui donna la garde et la résidence des enfants le 28 mai 1991. Le père obtint un droit de visite.

Le père, qui s'était installé au Texas, introduisit une demande judiciaire auprès du tribunal du comté de harris. Le 30 septembre 1991, à l'issue d'une audience par défaut, ledit tribunal lui accorda la garde des enfants. En décembre 1991, le père s'installa en Californie.

En 1992, le père fit l'objet de procédures pénales par contumace, en France.

Entre 1993 et 1994, la mère obtint 5 jugements californiens ordonnant au père de lui remettre les enfants. Le 10 août 1993, un tribunal californien (California Superior Court) reconnut la décision de la Cour d'appel de Metz du 28 mai 1991. Le 1er février 1994, une cour d'appel californienne décida que le tribunal du Comté de Harris n'avait pas compétence pour remettre en cause la décision française du 28/5/1991.

En mars 1994, le père quitta les Etats-Unis et emmena les enfants en Roumanie.

En Novembre 1994, l'Autorité Centrale américaine entama une procédure conventionnelle de retour. Un mois plus tard, l'Autorité Centrale française fit de même.

Le 14 décembre 1994, un juge de Bucarest ordonna le retour des enfants. Toutefois, le père cacha les enfants et le jugement ne fut pas exécuté. Son domicile fut perquisitionné plusieurs fois sans succès. Aucune charge pénale ne fut retenue contre le père.

Le 1er septembre 1995 et le 14 mars 1996, les recours du père contre la décision de retour furent rejetés. De même, son recours visant à bloquer la mise à exécution de la décision fut rejeté le 9 février 1996. Alors que la procédure conventionnelle était pendante, le père avait entamé une instance en Roumanie, afin d'obtenir la garde des enfants.

Le 5 février 1996, la cour de Bucarest, se fondant sur le principe de la rechetche de l'intérêt supérieur des enfants, accorda la garde au père. Cette décision fit l'objet d'un recours au motif que la mère ou ses représentants n'avaient pas reçu adéquate notification. Plusieurs recours furent exercés, qui aboutirent à une décision de la Cour d'appel de Bucarest confirmant la décision du 5 février 1996.

Le père saisit également les juridictions françaises pour qu'elles confirment l'attribution de la garde. Le 22 février 1996, le tribunal de Grande Instance de Metz rejeta sa demande, estimant que la cour de Bucarest n'avait pas compétence pour rendre sa décision du 5 février 1996.

La mère rencontra les enfants, pour la première fois en sept ans, à la sortie des classes, le 29 janvier 1997, à Bucarest. La rencontre n'excéda pas 10 min et les filles s'opposèrent vivement au contact. A la suite de cette rencontre, la mère ne chercha plus à obtenir l'exécution de la décision de retour. Dans une lettre datée du 31 janvier 1997, l'Autorité Centrale roumaine informa son homologue française qu'elle n'ordonnerait pas le retour des enfants compte tenu de leur opposition.

Le 22 janvier 1996, la mère avait saisi la Cour Européenne des Droits de l'Homme d'une demande fondée sur l'idée que les autorités roumaines avaient violé son droit à une vie familiale, au sens de l'art 8 CEDH, en négligeant de prendre les mesures nécessaires à l'exécution des décisions lui accordant la garde des filles, et en particulier de la décision du 14 décembre 1994. La mère invoquait également l'article 41 de la Convention au soutien d'une demande d'indemnisation.

Dans son rapport en date du 9 septembre 1998, la Commission Européenne des Droits de l'Homme, à l'unanimité, décida qu'il y avait bien eu violation de l'article 8 CEDH.

Dispositif

Par une majorité de 6 voix contre une, la Cour estima que la Roumanie avait violé l'article 8 CEDH en négligeant de prendre les mesures nécessaires à l'exécution des décisions accordant la garde des filles à la mère, et en particulier de la décision du 14 décembre 1994. La cour accorda également une indemnisation à la mère sur le fondement de l'article 41 de la Convention.

Motifs

Questions liées au retour de l'enfant

La Cour suivit l'interprétation qu'elle avait déjà donnée de l'article 8. Elle indiqua que les autorités nationales étaient débitrices d'une obligation, bien que non absolue, de faire en sorte de rassembler parents et enfants. Pour ce faire, il convenait de prendre une position mesurée afin d'assurer le respect des droits des personnes impliquées et de l'intérêt supérieur des enfants. La cour affirma un point fondamental : la nécessité d'interpréter l'article 8 CEDH à la lumière de la Convention de La Haye de 1980 sur l'enlèvement international d'enfants. Elle indiqua que la question-clef consistait à se demander si, en l'espèce, les autorités roumaines avaient pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles. Liminairement, le gouvernement roumain soutenait que ses obligations commençaient avec la décision de retour du 5 février 1996 et prenaient fin avec la décision de la Cour d'appel de Bucarest du 28 mai 1998, laquelle confirmait le jugement de garde du 5 février 1996. Ce point était critiqué par la mère au motif qu'elle n'avait pas reçu notification des actes ni n'avait été mise en mesure de participer à la procédure conduisant à la décision du 28 mai 1998. Sur ce point, la Cour considéra que la procédure suivie par les autorités roumaines n'était pas conforme avec les obligations résultant de l'article 8 CEDH. Sur le fond, la Cour nota l'importance d'un traitement diligent des affaires d'enlèvement international d'enfants. Elle se référa à l'art 11 de la Convention de la Haye de 1980 sur le point. La cour indiqua que l'écoulement du temps pouvait avoir des conséquences majeures et permanentes sur la relation entre les enfants et le parent-victime. La Cour fit observer qu'entre décembre 1994 et décembre 1995, seules 4 tentatives de mise à exécution de la décision de retour furent engagées, alors qu'aucune mesure ne fut prise par les autorités roumaines de décembre 1995 à janvier 1997. La Cour relevait qu'aucune justification satisfaisante n'avait été apportée à cet état de fait. par ailleurs, aucune mesure ancillaire n'avait été envisagées pour faciliter l'exécution de la décision de retour; aucune sanction n'était prise contre le père et aucune mesure préparatoire n'avait été prise pour faciliter le retour des enfants. Le Gouvernement roumain indiqua qu'il appartenait à la mère d'engager une instance civile en vue de sanctionner le père. Selon la Cour cependant, cette possibilité ne dispensait pas les autorités roumaines de leurs obligations au regard de l'exécution des décisions judiciaires. Elle rappela que la mère avait requis les autorités roumaines de prendre des sanctions contre le père. La cour indiqua que la rencontre du 29 janvier 1997 n'avait pas été correctement préparée ni conduite. La cour conclut que les autorités roumaines n'avaient pris aucune mesure adéquate ou appropriée pour garantir le droit de la mère à voir les enfants rentrer en France. Par une majorité de 6 voix contre une, la Cour estima que la Roumanie avait violé l'article 8 CEDH en négligeant de prendre les mesures nécessaires à l'exécution des décisions accordant la garde des filles à la mère. Sur le fondement de l'article 41, la Cour accorda à la mère une indemnisation d'un montant de 100 000 Francs français à la mère pour la douleur et la souffrance subie. Les frais et dépens de la mère furent également indemnisés.

Commentaire INCADAT

Exécution de l'ordonnance de retour

Lorsqu'un parent ravisseur ne remet pas volontairement un enfant dont le retour a été judiciairement ordonné, l'exécution implique des mesures coercitives. L'introduction de telles mesures peut donner lieu à des difficultés juridiques et pratiques pour le demandeur. En effet, même lorsque le retour a finalement lieu, des retards considérables peuvent être intervenus avant que les juridictions de l'État de résidence habituelle ne statuent sur l'avenir de l'enfant. Dans certains cas exceptionnels les retards sont tels qu'il n'est plus approprié qu'un retour soit ordonné.


Travail de la Conférence de La Haye

Les Commissions spéciales sur le fonctionnement de la Convention de La Haye ont concentré des efforts considérables sur la question de l'exécution des décisions de retour.

Dans les conclusions de la Quatrième Commission spéciale de mars 2001, il fut noté :

« Méthodes et rapidité d'exécution des procédures

3.9       Les retards dans l'exécution des décisions de retour, ou l'inexécution de celles-ci, dans certains [É]tats contractants soulèvent de sérieuses inquiétudes. La Commission spéciale invite les [É]tats contractants à exécuter les décisions de retour sans délai et effectivement.

3.10       Lorsqu'ils rendent une décision de retour, les tribunaux devraient avoir les moyens d'inclure dans leur décision des dispositions garantissant que la décision aboutisse à un retour effectif et immédiat de l'enfant.

3.11       Les Autorités centrales ou autres autorités compétentes devraient fournir des efforts pour assurer le suivi des décisions de retour et pour déterminer dans chaque cas si l'exécution a eu lieu ou non, ou si elle a été retardée. »

Voir < www.hcch.net >, sous les rubriques « Espace Enlèvement d'enfants » et « Réunions des Commissions spéciales sur le fonctionnement pratique de la Convention » puis « Conclusions et Recommandations ».

Afin de préparer la Cinquième Commission spéciale en novembre 2006, le Bureau permanent a élaboré un rapport sur « L'exécution des décisions fondées sur la Convention de La Haye de 1980 - Vers des principes de bonne pratique », Doc. prél. No 7 d'octobre 2006.

(Disponible sur le site de la Conférence à l'adresse suivante : < www.hcch.net >, sous les rubriques « Espace Enlèvement d'enfants » et « Réunions des Commissions spéciales sur le fonctionnement pratique de la Convention » puis « Documents préliminaires »).

Cette Commission spéciale souligna l'importance des principes de bonne pratique développés dans le rapport qui serviront à l'élaboration d'un futur Guide de bonnes pratiques sur les questions liées à l'exécution, voir : < www.hcch.net >, sous les rubriques « Espace Enlèvement d'enfants » et « Réunions des Commissions spéciales sur le fonctionnement pratique de la Convention » puis « Conclusions et Recommandations » et enfin « Commission Spéciale d'Octobre-Novembre 2006 »


Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH)

Ces dernières années, la CourEDH a accordé une attention particulière à la question de l'exécution des décisions de retour fondées sur la Convention de La Haye. À plusieurs reprises elle estima que des États membres avaient failli à leur obligation positive de  prendre toutes les mesures auxquelles on pouvait raisonnablement s'attendre en vue de l'exécution, les condamnant sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH) sur le respect de la vie familiale. Voir :

Ignaccolo-Zenide v. Romania, 25 January 2000 [Référence INCADAT : HC/E/ 336] ;

Sylvester v. Austria, 24 April 2003 [Référence INCADAT : HC/E/ 502] ;

H.N. v. Poland, 13 September 2005 [Référence INCADAT : HC/E/ 811] ;                       

Karadžic v. Croatia, 15 December 2005 [Référence INCADAT : HC/E/ 819] ;

P.P. v. Poland, Application no. 8677/03, 8 January 2008, [Référence INCADAT : HC/E/ 941].

La Cour tient compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire et des mesures prises par les autorités nationales.  Un retard de 8 mois entre l'ordonnance de retour et son exécution a pu être considéré comme ne violant pas le droit du parent demandeur au respect de sa vie familiale dans :

Couderc v. Czech Republic, 31 January 2001, Application n°54429/00, [Référence INCADAT : HC/E/ 859].

La Cour a par ailleurs rejeté les requêtes de parents qui avaient soutenu que les mesures d'exécution prises, y compris les mesures coercitives, violaient le droit au respect de leur vie familiale :

Paradis v. Germany, 15 May 2003, Application n°4783/03, [Référence INCADAT : HC/E/ 860] ;

A.B. v. Poland, Application No. 33878/96, 20 November 2007, [Référence INCADAT : HC/E/ 943] ;

Maumousseau and Washington v. France, Application No 39388/05, 6 December 2007, [Référence INCADAT : HC/E/ 942] ;

L'obligation positive de prendre des mesures face à l'exécution d'une décision concernant le droit de garde d'un enfant a également été reconnue dans une affaire ne relevant pas de la Convention de La Haye :

Bajrami v. Albania, 12 December 2006 [Référence INCADAT: HC/E/ 898].

Ancel v. Turkey, No. 28514/04, 17 February 2009, [Référence INCADAT : HC/E/ 1015].


Commission interaméricaine des Droits de l'Homme

La Commission interaméricaine des Droits de l'Homme a décidé que l'exécution immédiate d'une ordonnance de retour qui avait fait l'objet d'un recours ne violait pas les articles 8, 17, 19 ni 25 de la Convention américaine relative aux Droits de l'Homme (Pacte de San José), voir :

Case 11.676, X et Z v. Argentina, 3 October 2000, Inter-American Commission on Human Rights Report n°71/00 [Référence INCADAT : HC/E/ 772].


Jurisprudence en matière d'exécution

Dans les exemples suivants l'exécution de l'ordonnance de retour s'est heurtée à des difficultés, voir :

Belgique
Cour de cassation 30/10/2008, C.G. c. B.S., N° de rôle: C.06.0619.F, [Référence INCADAT : HC/E/BE 750] ;

Canada
H.D. et N.C. c. H.F.C., Cour d'appel (Montréal), 15 mai 2000, N° 500-09-009601-006 (500-04-021679-007), [Référence INCADAT : HC/E/CA 915] ;

Suisse
427/01/1998, 49/III/97/bufr/mour, Cour d’appel du canton de Berne (Suisse); [Référence INCADAT : HC/E/CH 433] ;

5P.160/2001/min, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile); [Référence INCADAT : HC/E/CH 423] ;

5P.454/2000/ZBE/bnm, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile); [Référence INCADAT : HC/E/CH 786] ;

5P.115/2006 /bnm, Bundesgericht, II. Zivilabteilung (Tribunal Fédéral, 2ème Chambre Civile); [Référence INCADAT : HC/E/CH 840] ;

L'exécution peut également être rendue impossible en raison de la réaction des enfants en cause. Voir :

Royaume-Uni - Angleterre et Pays de Galles
Re B. (Children) (Abduction: New Evidence) [2001] 2 FCR 531; [Référence INCADAT : HC/E/UKe 420]

Lorsqu'un enfant a été caché pendant plusieurs années à l'issue d'une ordonnance de retour, il peut ne plus être dans son intérêt d'être l'objet d'une ordonnance de retour. Voir :

Royaume-Uni - Écosse
Cameron v. Cameron (No. 3) 1997 SCLR 192, [Référence INCADAT : HC/E/UKs 112] ;

Espagne
Auto Juzgado de Familia Nº 6 de Zaragoza (España), Expediente Nº 1233/95-B [Référence INCADAT : HC/E/ES 899].

Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CourEDH)